La philosophie du clavier Dvorak (et du Bépo) : l’alternance des mains

Nous avons vu dans un précédant article que la disposition QWERTY (et son adaptation française) n’étaient pas, à l’heure des premières machines à écrire, si inadaptées que cela. Pourtant, parmi toutes les dispositions alternatives datant d’avant l’arrivée de l’informatique, l’une d’elle a survécu jusqu’à nous : la disposition Dvorak. Qu’avait-elle de si particulier ?

Breveté en 1936, la keymap alternative Dvorak est arrivée tardivement sur le marché, à une époque ou le Qwerty était déjà omniprésent. Cette disposition n’est d’ailleurs même pas le fait de fabricants de machines à écrire, mais d’un universitaire pédagogue et professeur en psychologie : August Dvorak. En tant qu’universitaire, il aura beaucoup publié sur le sujet.

Cette disposition prenait ainsi compte des méthodes de dactylographie enseignées a l’époque, qui n’ont que peu bougé depuis : la deuxième rangée de lettres est considéré comme la ligne de base / de repos. C’est donc sur la deuxième rangée que seront concentrées les lettres les plus courantes de la langue anglaise, cela afin de limiter les mouvements.

Le second objectif de Dvorak sera de privilégier l’alternance des mains. Les moyens modernes de l’informatique prouvera qu’effectivement, en la matière, ce clavier est excellent. Mais ce point ne fait pas l’unanimité : certains considèrent qu’on tape plus vite et/ou apprends mieux si on tape les lettres successives (notamment les bigrammes et trigrammes les plus courants) avec la même main. Cela semble plus naturel à la plupart des personnes, mais les défenseurs actuels de Dvorak disent que des études scientifiques sur la psychomotricité tendent à prouver que Dvorak avait raison. C’est l’insistance sur ce point qui fait l’originalité de Dvorak.

Le troisième objectif de Dvorak est de ne pas fatiguer une main ou un doigt plus que l’autre. Ainsi, la main droite est utilisée autant que la main gauche, et les index autant que les auriculaires.

Le quatrième objectif, qui est celui de toute keymap, est de limiter l’utilisation successive du même doigt. L’objectif est facilement atteint du fait de la recherche de l’alternance des mains.

Enfin, on note que sur le clavier Dvorak original, aussi quelquefois appelé clavier « Dvorak programmeur », mais pas le clavier Dvorak simplifié (ou DSK), les chiffres ont été déplacés, dans l’idée de privilégier les doigts forts (0 et 1 sur les index), et peut-être de permettre l’alternance des mains (notamment quand on tape en binaire).

Critiques du Dvorak

Si, comme je l’ai indiqué, le principe de l’alternance des mains est critiqué, les utilisateurs de Dvorak ont souvent un autre reproche à faire au clavier : U/I. Ces deux lettres utilisent le même doigt, mais la lettre I, bien plus courante, nécessite un déplacement vertical, ce qui n’est pas le cas du U, bien moins fréquent en anglais.

L’idée d’un équilibre entre les mains est rarement mise en cause, même si beaucoup de keymap ne se préoccupent pas trop de cet objectif, c’est rarement très déséquilibré de ce côté-là. Cependant, l’équilibre entre les doigts est plus souvent mis en cause : l’index et le majeur sont plus puissants que l’auriculaire, pourquoi leur demander d’effectuer autant de travail ?

De façon plus générale, le clavier privilégie la rangée de base, là où d’autres claviers plus modernes tentent de privilégier des touches en particulier en attribuant un poids différent à chaque touche, et/ou tentent de privilégier les doigts fort.

Le troisième reproche courant de la keymap est de ne pas respecter les règles usuelles de raccourcis clavier, et notamment de déplacer Z/X/C/V.

Peut-on faire mieux que Dvorak avec ses propres règles ?

A l’aide d’un ordinateur, Peter Klausler à tenté de modéliser un clavier reprenant les principes de Dvorak, mais aussi en assignant un poids différent à chaque touche. La version connue, correspondant à la deuxième version de sa keymap date de 2002. Le site original a depuis disparu, son auteur qui avait appris cette keymap est revenu au Dvorak original en promettant une troisième version de son clavier plus aboutie qui n’a jamais vu le jour.

Enfin, Michael Capewell a proposé quelques inversions de lettres pour rétablir Z/X/C/V a leur place initiale, et résoudre le problème U/I : la keymap Capewell-Dvorak (2005). Il a proposé une comparaison de cette keymap qui donne celle-ci gagnante face à Dvorak et Klausler que je reproduis ici, il semblerait en effet que la keymap Dvorak puisse être améliorée… toutefois, les 2 versions modifiées ont ceci de particulier qu’elles s’éloignent un peu de l’objectif de la plus grande alternance des mains :

(Les keymaps Arensito et Capewell seront pour un futur article).

Michael Capewell utilise actuellement au quotidien une autre keymap non présente dans ce comparateur (QWERF, une variante du Capewell-Qwerty), Peter Klausler est retourné au Dvorak de base ; je ne connais aucune variation de la disposition Dvorak qui se soit répandue, à l’exception de l’inversion U/I.

Et une keymap Dvorak en Français ?

Bien sûr, il n’y a pas que l’anglais dans la vie. Certains ont tenté de rajouter des caractères accentués à la keymap Dvorak avec plus ou moins de succès pour taper des langues nationales. Mais en réalité, il faut revoir la disposition en entier, en fonction de la fréquence des lettres de chaque langue. Deux keymaps localisées restées fidèles à Dvorak ont ainsi eu un certains succès : Neo pour l’Allemand, et Bépo pour le Français.

On retrouve sur le bépo les voyelles du côté gauche (l’alternance des mains fut bien recherché lors de la conception), le privilège apporté a la rangée du milieu avec le C, le M, et la virgule (caractère courant mais souvent oublié). Un effort a été fait pour le choix des touches, afin de privilégier les touches fortes pour le doigt…. et les auriculaires restent très chargés, surtout le droit avec un clavier Typematrix quand on veux taper en anglais sur le Web.

Pour taper en Français, selon les principes d’August Dvorak, ce clavier me semble un bon choix, et toujours bien meilleur choix que le clavier Dvorak original même si on tape autant en anglais qu’en Français.

On retrouve également en Français la disposition Leboutte qui fait la part belle à une touche lettre morte, ainsi que la keymap BvoFRak (donné comme plus efficiente par le comparateur de patorjk, pour ceux qui y tiennent).

Les autres claviers « Dvorak » ?

La conséquence de l’alternance des mains se voit sur le clavier : les voyelles sont toutes regroupées sur le côté gauche du clavier (et la rangée de base).  Une keymap ne regroupant pas les voyelles sur le même côté n’est donc pas conforme à cet objectif important de Dvorak.

Par abus certains prétendent qu’une keymap optimisée est Dvorak, voire rebaptisent leur clavier depuis Dvorak : « Colemak », mot-valise du nom de son créateur (Shai Coleman) et de Dvorak, n’est pas du tout conforme aux idées d’August Dvorak, et beaucoup plus proche de Qwerty.

La disposition Dvorak est un peu passée de mode pour les anglophones en raison du succès de Colemak, et ce sera l’objet de prochains articles.

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